La République laïque de Jean‑Luc Mélenchon : un débat qui fracture la gauche et bien plus encore

L’article de Valentin Soubise ( Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ) que nous republions ci-dessous a été d’abord publié par le site The Conversation le 16 février 2021. Il nous apparaît comme une manière essentielle de nourrir le débat sur l’utilisation du terme « islamogauchisme » et plus largement sur les notions de laïcité et d’islamophobie. Le titre de l’article est le titre original.
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Le président du groupe parlementaire La France insoumise mène actuellement une fronde, sur les bancs de l’Assemblée nationale, contre le projet de loi « séparatisme », finalement rebaptisé « projet de loi confortant le respect des principes de la République ».

Dans son discours du 1ᵉʳ février, Jean‑Luc Mélenchon juge « inutile » et « dangereuse » une loi qui selon lui demanderait aux associations musulmanes de prêter des « serments d’allégeance » à la République.

« Non, les chemins de la raison ne s’ouvrent pas à la faux. Non, la porte de l’universel ne s’ouvre pas à coups de pied. Non, l’amour de la République, comme tout amour, ne vaut rien sous la menace. »

Jean‑Luc Mélenchon réaffirme ainsi une conception de la laïcité qui ne doit pas être un « athéisme d’État », imposé par la contrainte, mais une séparation stricte où l’État, « indifférent » à la religion, garantit à chacun une liberté absolue de conscience.

La laïcité a selon lui apporté une contribution historique essentielle à la sortie des guerres de religion en France et son enjeu principal est aujourd’hui encore de garantir « l’unité du pays ».

Or, le député considère que ce projet de loi ouvre au contraire « la porte à un déferlement » contre les musulmans.

Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a réagi en dénonçant un propos « inadmissible » qui, en laissant entendre que le gouvernement « stigmatise » les musulmans, risque de « renforcer l’attraction » exercée sur eux par l’islamisme, ce qui fait « incontestablement » le jeu du « séparatisme ».

Comment cette critique d’une complicité avec l’islamisme s’est-elle imposée et banalisée à l’encontre de Jean‑Luc Mélenchon, alors même que, pendant la plus grande partie de sa vie politique, celui-ci était identifié comme un laïcard républicain virulent et intransigeant ?

Sa rupture avec le journal satirique Charlie Hebdo, parce que ce dernier a été la victime et le symbole du fanatisme abject des djihadistes, est un facteur de poids qui a favorisé ce retournement de sens.

Charlie Hebdo : Je t’aime… moi non plus

Le 16 janvier 2015, Jean‑Luc Mélenchon prononce une oraison funèbre à la mémoire d’un « camarade » qu’il désigne comme un « héros » de la laïcité :

« Charb, tu as été assassiné par nos plus anciens, nos plus cruels, nos plus constants, nos plus bornés ennemis, les fanatiques religieux ».

Devant les proches du dessinateur, le tribun adjoint à son propos une promesse : « Charb, ils n’auront jamais le dernier mot ».

Cinq ans plus tard, Charlie Hebdo n’a pas de mots assez durs pour accuser le dirigeant insoumis d’avoir renoncé à ses « positions intransigeantes » sur la laïcité :

« On est passé de la République à l’indigénisme ».

En cause : la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 jugée « nauséabonde » et la participation du député des Bouches-du-Rhône qualifiée de « compromission odieuse » avec l’islamisme du fait de la présence de représentants d’associations accusés d’être proches des Frères musulmans.

Le leader insoumis a-t-il vraiment « trahi » Charlie et ses propres convictions républicaines ?

Comment comprendre cette polémique autour du candidat à la présidentielle 2022 ?

Deux gauches irréconciliables sur la laïcité

Suite à l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et à l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, à la faveur d’un climat de recherche de coupables politiques, voire de « chasse aux sorcières » selon certains, d’autres acteurs se sont engouffrés dans cette fenêtre d’opportunité pour alimenter la même thèse.

Le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer affirme alors que « Jean‑Luc Mélenchon est un jour républicain et le lendemain islamo-gauchiste ! » et qu’il restera « dans l’Histoire […] pour cette trahison ».

La maire de Paris Anne Hidalgo fait alors de ces « ambiguïtés » avec le cadre républicain son principal argument pour rejeter la candidature de Jean‑Luc Mélenchon en 2022.

La virulence et la gravité de ces accusations ne doivent pas faire oublier que le dirigeant insoumis est loin d’être le seul à avoir soutenu la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019.

L’appel a été signé par une très vaste palette d’organisations et de figures de la gauche politique, syndicale, associative et médiatique.

Le Parti socialiste (PS) est en fait le seul parti de gauche notable qui n’ait ni appelé ni participé à cette manifestation. C’est dire que les attaques à l’encontre de Jean‑Luc Mélenchon participent en fait surtout d’une « offensive payante des “laïcards” », comme l’écrit le journal Le Monde, et du creusement d’un fossé de plus en plus abyssal entre deux gauches irréconciliables : l’une est accusée d’avoir transformé le combat laïc en cheval de Troie de la haine des musulmans et elle désigne l’autre comme la complice de réactionnaires religieux voire du terrorisme djihadiste lui-même.

Laïcité et défense des musulmans : une étroite ligne de crête

Jean‑Luc Mélenchon, dont l’ambition politique affichée depuis qu’il a quitté le PS en 2008 est de refonder politiquement la gauche et le peuple, dit vouloir éviter le piège de cette opposition stérile.

Il affirme vouloir ouvrir la voie d’une ligne de crête entre les deux « camps » de cette « guerre des gauches ».

Une démarche que ne renierait pas le député européen Raphaël Glucksmann quand celui-ci déclare que la gauche doit cesser d’être « borgne » :

« Elle doit être radicalement anti-intégriste et antiraciste. La gauche doit voir le problème avec ses deux yeux. »

Cette double préoccupation est déjà présente en 2004 chez Jean‑Luc Mélenchon. Au nom de la lutte contre le « communautarisme », le sénateur finit par trancher pour l’interdiction du voile à l’école (et 10 ans plus tard, il considère encore qu’il s’agit d’un « signe de soumission » des femmes).

Pourtant, celui qui est alors identifié comme un « laïcard » virulent rencontre déjà des difficultés à se positionner dans un débat dès 2004 dans l’ouvrage Causes républicaines paru au Seuil « piégé » par les « instrumentalisations racistes » de la laïcité. Dès 2004, il écrit :

« Pour être franc, je n’aimais pas l’idée d’une loi contre le port du voile à l’école […], je sentais autour du débat la présence répugnante des arabophobes, cohorte sournoise de la haine. »

De même, lors de la polémique autour des « prières de rue musulmanes » en 2010, expression fortement médiatisée à l’époque, le dirigeant du Parti de gauche (PG) s’en prend à la présidente du FN qui compare le phénomène à l’occupation nazie mais il affirme :

« Pour autant, condamner les délires de Le Pen ce n’est pas s’accommoder des prières dans la rue. »

Le combat antiraciste ne doit pas introduire, par un effet de compensation et de « façon insidieuse », l’idée que « l’intransigeance laïque » conduirait « au racisme ou à “l’islamophobie” ».

La défense d’une « laïcité étendue »

On peut observer une constance dans le parcours politique de Jean‑Luc Mélenchon : il ne considère pas « que le problème essentiel de la France ce soit l’antisémitisme et l’islamisme », auxquels on consacre des « émissions non-stop » dans « un gavage sans fin ».

En 2004, la principale menace n’émane pas selon lui du voile islamique mais des régionalistes corses et bretons qui revendiquent un droit « communautariste » dérogatoire.

Le sénateur prône alors une « laïcité étendue » contre ces « nouveaux fronts » prioritaires. Il se dit même excédé « de voir la seule vindicte antireligieuse tenir lieu de discours de référence laïque. »

Il affirme aussi que l’Église catholique, du fait de l’histoire, du concordat, et de son influence politique, représente une menace bien plus sérieuse pour la laïcité que le culte musulman.

En 2020, il n’existe selon lui en France aucun « parti de masse qui serait le djihadisme terroriste ou bien même l’islamisme politique ».

Il juge ces phénomènes très minoritaires, privés de représentation électorale et donc loin de représenter une menace sérieuse pour la laïcité.

Ces prises de position tendent à rejoindre Olivier Roy quand le politiste souligne qu’il n’y a jamais eu en France un degré de consensus aussi élevé qu’aujourd’hui sur la laïcité, puisqu’elle est défendue d’un bout à l’autre du champ partisan.

Antiracisme, islamophobie : le pouvoir des mots

Les propos de Jean‑Luc Mélenchon témoignent en fait d’une cohérence de long cours quand il affirme :

« La laïcité, ce n’est pas la haine d’une religion. L’État laïc, ce n’est pas un athéisme d’État. »

Mais ce qui a évolué en revanche est son rapport à un ensemble de mots et concepts antiracistes. https://www.youtube.com/embed/3qHqPceAbrs?wmode=transparent&start=0 L’État laïc, ce n’est pas un athéisme d’État.

En mars 2015, le PG ne participe pas à un meeting à Saint-Denis (co-organisé entre autres par le NPA, le PCF, EELV, mais aussi par le PIR, le CCIF et l’UOIF) contre « l’islamophobie », car comme l’explique le communicant et coordinateur du PG Eric Coquerel : Avec ce terme, il « est difficile en effet de faire la part entre la libre critique de la religion et le racisme ».

Jean‑Luc Mélenchon confirme ce point de vue huit mois plus tard.

Je conteste le terme d’islamophobie. On a le droit de ne pas aimer l’islam comme on a le droit de ne pas aimer le catholicisme. #SLT— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) November 21, 2015

En novembre 2020, le député insoumis préfère toujours parler de « haine des musulmans » plutôt que d’islamophobie mais cette préférence lexicale ne justifie plus, à elle seule, une absence de soutien aux militants qui combattent le racisme en employant le terme « islamophobie » :

« La vie n’est pas une partie de Scrabble » et « ceux qui font des pinailles sur les mots offrent des diversions, c’est tout, et rien d’autre. »

La défense des victimes du racisme est désormais jugée prioritaire sur le choix des concepts qui servent à désigner ce combat. Le terme d’ailleurs ne serait finalement « pas si inadapté que ça » pour décrire

« la phobie […] des gens qui deviennent fous quand ils voient des musulmans ou qu’ils voient une mosquée ».

Jean‑Luc Mélenchon affirme avoir évolué en constatant que les musulmans ne considéraient pas le terme islamophobie comme une tentative d’interdire la critique de l’islam mais comme un moyen de les stigmatiser.

Une prise de conscience d’un décalage avec les musulmans

C’est donc la prise de conscience de son décalage vis-à-vis d’« opprimés » que le « tribun du peuple » se devrait de représenter, qui justifie ce revirement chez Jean‑Luc Mélenchon.

À l’encontre d’une vision nominaliste qui voudrait que la vérité d’un mot soit inscrite objectivement en lui, c’est ici une conception privilégiant ses usages sociaux qui l’emporte : le terme « islamophobie » serait essentiellement devenu un objet de conflit entre ceux qui stigmatisent les musulmans et ceux qui leur résistent. https://www.youtube.com/embed/TUDBEWk8lTM?wmode=transparent&start=0 Une conférence du philosophe Henri Peña-Ruiz proche de Jean‑Luc Melenchon en 2019.

Cette conception est dénoncée comme relativiste et contestée par Henri Peña-Ruiz, le philosophe qui faisait anciennement autorité au sein du PG sur la question de la laïcité (et qui se retrouve aujourd’hui désavoué par le leader insoumis) :

« S’incliner devant une expression partisane et fausse sous prétexte qu’elle est répandue c’est renoncer à une clarification idéologique nécessaire ».

Pour le philosophe, admettre le concept d’islamophobie, c’est accepter un glissement du combat antiraciste sur un terrain religieux qui lui est étranger et qui le défigure.

Il est certain que, malgré la participation de nombreuses organisations progressistes à la marche du 10 novembre 2019, le dirigeant insoumis n’est pas parvenu à imposer dans le débat public sa propre définition de l’événement : une « manifestation de fraternité du peuple français qui s’est achevée par une Marseillaise vibrante ».

L’attaque de la mosquée de Bayonne est restée absente des débats et le thème de la trahison « islamo-gauchiste », jusque-là cantonné à l’extrême droite, a fait une percée inédite au sein de la majorité, de ses alliés et de nombreux acteurs médiatiques légitimes.

Le politiste Samuel Hayat compare ce phénomène à la rhétorique du « judéo-bolchévisme » qui a consisté au début du XXe siècle à « utiliser le climat antisémite très répandu » pour attaquer la gauche.

Le multiculturalisme est un fait

Dans l’idéal mélenchonien, la laïcité à la française ne doit pas s’opposer au multiculturalisme.

La laïcité n’y est pas considérée comme l’élément d’un modèle culturel assimilationniste mais comme un principe d’unité politique de la communauté souveraine, reposant sur l’égalité absolue de tous les citoyens devant une loi indivisible.

La République laïque doit assurer une protection des individus en situation minoritaire. Dès 2000, le sénateur écrit :

« Le droit à une identité culturelle personnelle a un préalable : la laïcité absolue de l’État. »

Dans cette perspective, la République laïque est le bien de ceux qui n’en ont aucun autre, qui sont exclus de la propriété matérielle comme de l’appartenance ethnique au « clan » ou à la « race » majoritaire.

Cette dimension est fondamentale pour ce pied-noir né à Tanger qui se considère comme un immigré maghrébin déraciné et privé de tout terroir. Ce raisonnement est explicité par Raquel Garrido :

« Quand tu es immigré, il n’y a rien de plus solide que l’histoire républicaine des Français pour faire corps avec le reste de [la population]. »

(Entretien avec l’auteur du présent article, 12 août 2020)

En 2011, Mélenchon affirme à l’encontre du président Nicolas Sarkozy :

« De toute façon le multiculturalisme est un fait. […] Ce qui n’est pas un fait c’est que cela fonde des droits politiques. »

Voici comment le propos est reformulé en 2020 dans une critique destinée cette fois-ci à Emmanuel Macron :

« Le communautarisme, ce n’est pas la pratique d’une communauté […]. Nombre de Français participent à des communautés de toutes sortes et pas seulement religieuses […]. Le communautarisme c’est précisément quand une communauté décide que les règles qu’elle veut s’appliquer à elle-même s’appliquent contre les lois et en dépit de ce qu’en pensent les membres de cette communauté. […] Le communautarisme est notre adversaire en toutes circonstances. »

On retrouve dans cette citation l’idée qu’il faut protéger les individus contre des communautés qui voudraient de force les embrigader juridiquement comme leurs « membres ».

Du particulier à l’universel : la « créolisation »

En septembre 2020, Jean‑Luc Mélenchon emprunte le concept de « créolisation » au philosophe martiniquais Édouard Glissant.

Il cherche ainsi à décrire un fait sociologique objectif résultant du « métissage » des arts et des langages, un choc permanent des cultures dans une société qui ne peut jamais connaître d’état stationnaire.

Ce qui est nouveau chez le dirigeant insoumis, outre l’emploi du mot, est que cette « créolisation » sert à désigner « le chaînon manquant entre l’universalisme dont [il se] réclame et la réalité vécue qui le dément ».

Ce n’est donc pas l’assimilation à une norme dominante donnée a priori mais le mouvement historique de créolisation entre différents groupes humains qui constitue le processus réel de progression vers « l’homme universel qui peut-être bien n’existera jamais, mais qui est un point d’horizon vers lequel il est possible de se diriger, de cœur et d’esprit »

L’universalisme abstrait dont le député insoumis est depuis longtemps le défenseur ne doit plus occulter la réalité des différences ni invisibiliser le tort subi par les dominés qui en sont exclus.

Mais si Jean‑Luc Mélenchon a conscience que l’existence d’inégalités et de discriminations contredit constamment l’universalisme, cela ne doit jamais conduire à abandonner ce dernier au motif qu’il serait un mythe.

En 2012, il affirme déjà que la devise républicaine est « un mensonge, car il n’y a pas de liberté, ni d’égalité ni de fraternité dans cette société. »

Pour autant, elle ne doit pas être abandonnée, au contraire, elle est le symbole qui doit être constamment brandi pour chercher à en rapprocher le plus possible la réalité.

Au Karl Marx de La Question juive qui rejette les droits de l’Homme comme une mystification bourgeoise dissimulant l’exploitation, Jean‑Luc Mélenchon semble alors préférer le philosophe Jacques Rancière qui souligne l’efficacité et la performativité de la « phrase égalitaire » : affirmer et croire en une égalité qui n’existe pas encore est le seul moyen de la faire progresser dans la réalité.


L’auteur réalise sa thèse sous la direction de Frédéric Sawicki.

Valentin Soubise, Doctorant en science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Eté pourri, rentrée politique hors-sol

Capitaine de pédalo à moteur

Bizzarre, bizzarre. Je ne sais pas si vous ressentez comme moi l’anormalité de cette pré-rentrée. Il règne une instabilité dans l’air, comme si le futur proche était suspendu. Comme si, malgré l’agitation du gouvernement, plus personne ne faisait de projets.

Pour ma part peut-être est-ce dû à la prolongation de mes vacances dans la Drôme jusqu’au dernier moment. Ma perception est-elle faussée par l’éloignement de la région Ile-de-France ? J ‘ai tendance à appréhender le retour à reculons. Pas l’envie.

Peut-être le recul sur l’actualité me fait prendre ma propre vacance comme un ressenti que ne partagent pas celles et ceux qui reprennent le boulot, les familles qui préparent la rentrée scolaire, les chômeuses et chômeurs qui se demandent encore s’il leur suffira de traverser la rue.

Au final, rassurez-moi. Dites-moi que mon impression que quelque chose ne tourne pas rond dans le monde n’est partagée par personne. Et si ce n’était qu’un problème franco-français ? Mais non, regardez. Le Liban est en train de couler et notre président de la République prétend lui dicter sa feuille de route politique. Alors même qu’il n’est pas sûr de faire face au défi de notre pays pour la rentrée, Macron dixit.

Au Mali la situation est révolutionnaire, au sens où le peuple est en insurrection. Que font les pays africains et l’Union européenne, France en tête ? Des magouilles pour restaurer l’ordre néo-colonial et imposer des solutions à coups de fermetures des frontières et de pressions militaires. La principale force militaire dans le pays n’est pas l’armée malienne, sous-équipée, mais l’armée française et dans une certaine mesure celle de la Minusma, plus ou moins aux ordres. Où cela va-t-il nous entraîner alors que des années de solution militaire n’ont rien réglé au chaos du pays ?

Les images quotidiennes en provenance des Etats-Unis me sidèrent. Le pays est en révolte, la police raciste tue presque chaque jour, quand ce ne sont pas les milices terroristes d’extrême-droite. Cela n’empêche pas Trump de vouloir dire le droit international et d’empêcher les peuples d’Amérique latine (notamment mais pas que) de choisir leur voie. La France y perd chaque jour un peu plus de sa souveraineté, avec le consentement empressé de Macron et de sa majorité LREM. Les traités de libre-échange comme le CETA et le droit commercial US prennent le pas sur la Constitution française (qu’il serait temps de faire évoluer vers la 6e République, mais bon).

Les médias français en font des tonnes sur la future élection présidentielle aux Etats-Unis. Chaque convention des Démocrates et des Républicains donnent lieu à des émissions fleuves, chaque prise de parole d’un proche de Trump ou de Biden fait l’objet de commentaires, mais la situation dans notre propre pays n’a droit qu’à des péroraisons d’experts médiatiques clownesques. Le tsunami social qui vient, les défis climatiques à relever, les actions et propositions syndicales, les prochaines élections régionales et départementales voire la présidentielle n’ont droit qu’à des approximations minutées.

Masque ou pas masque, that is the question

J’ouvre la télé sur n’importe quelle chaîne télé et j’apprends jour après jour que la seule question à se poser est : « masque ou pas masque ». Il est clair que la pandémie de coronavirus n’est pas une petite affaire à prendre à la légère. Mais il est tout aussi clair que la gestion politique et médiatique de la crise sanitaire n’a fait qu’apporter de la confusion. Incompétence ou volonté, à ce stade je ne sais plus. Autour de moi la majorité oscille entre fatalisme, incompréhension et angoisse. Nous sommes dépossédés de notre propre existence par un pilonnage médiatique anxiogène derrière lequel les transnationales pharmaceutiques jouent leur partition mortifère et tirent les ficelles.

Nos élus.es clichois sans légitimité populaire du fait de l’abstention font comme si tout allait bien et étalent leur contentement d’eux-mêmes. « Regardez mon bilan, il est beau mon bilan ! ». « J’ai distribué des masques ! ». « J’ai créé des numéros d’appel téléphoniques ! ». « J’ai commémoré le sacrifice des pilotes de la RAF ! ». « J’ai mis des caméras de surveillance partout ! ». « Je fais construire des immeubles à tour de bras ! »

Euh… Les Clichoises et les Clichois survivront-ils à ce raz-de-marée immobilier de logements auxquels ils ne pourront accéder ? A la prochaine canicule ? A la déferlante du chômage et à la pollution atmosphérique ? A l’horizon technocratique incertain du Grand Paris, des grands projets inutiles et des Jeux olympiques de 2024 ? A la déconstruction méthodique des services publics ? Y a-t-il un pilote dans l’avion pour nous dire sérieusement où nous allons ?

Ah oui, le pilote il se nomme Macron (ne parlons pas de Castex qui n’est qu’un homme de paille). A part le Maire macroniste Muzeau et la députée fantôme Calvez, y a-t-il encore quelqu’un ou quelqu’une à Clichy pour croire à la réalité de sa parole et de son action pour faire face aux problèmes que nous affrontons ? L’image de cet été pourri que je retiens est celle mise en avant par Macron lui-même. Un estivant sur un jet-ski. Le précédent Président de la République était un capitaine de pédalo, on a désormais un capitaine de pédalo à moteur. Question modernisation des institutions, il y a mieux quand le monde affronte les pires défis depuis la seconde guerre mondiale. On imagine mal De Gaulle ou même Mitterrand communiquant sur son scooter des mers. Ce n’est pas sérieux.

Je ne sous-estime pas la capacité de résistance du peuple. Elle se heurte certes à la répression policière, à la propagande médiatique, à la Sainte alliance internationale des milliardaires mais elle n’a pas dit son dernier mot. Ni en France, ni au Mali, ni en Biélorussie, ni au Liban, ni en Bolivie. Ni à Paris et à Washington, ni à Clichy, Saint-Ouen ou Gennevilliers.

J’ai eu la chance au mois d’août de pouvoir passer deux jours aux AMFIS d’été de la France insoumise. J’y ai fait le plein d’idées pour remettre sur ses pieds un monde qui marche sur la tête. J’y ai pris confiance dans une nouvelle et jeune génération politique qui n’abdique pas. Qui propose, débat et agis. J’espère pouvoir encore mettre cette moisson du mois d’août au service des luttes. A la fin, c’est nous qu’on va gagner.

Robert Crémieux
Montbrun, jeudi 27 août 2020

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Mali : un peuple debout face aux sanctions de la CEDEAO

La chute du Président Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) et de son régime n’a eu pour seule réponse des dirigeants de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), que de dégainer une série de sanctions contre le pays, contre le peuple avec notamment, la fermeture des frontières, un blocus économique, commercial et financier.

Le communiqué de la CEDEAO daté du 19 Août 2020, les résolutions du sommet extraordinaire virtuel des chefs d’Etats de l’organisation Ouest-Africaine du 20 août 2020, relèvent plus d’un combat d’arrière garde mis en place par des chefs d’Etats aux abois prêts à tout, pour sauver leurs propres pouvoirs, honnis par les peuples.

Pour ce qui est de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, les deux chefs d’Etats ont trahi leurs serments en briguant un troisième mandat après un tripatouillage des constitutions de leur pays. De véritables coups d’Etats déguisés.

Alassane Dramane Ouattara et Alpha Condé ont décidé de se maintenir au pouvoir, refusant l’alternance, sans provoquer l’indignation, la protestation, la condamnation du Club des Chefs d’Etats de la CEDEAO.

En préconisant des mesures discriminatoires, drastiques contre le Mali, en cherchant à étouffer notre peuple, les dirigeants de la CEDEAO, devraient avoir à l’esprit qu’ils ont à faire au pays du Président Modibo Keïta : le Mali, un grand pays, un grand peuple, fier, digne, combatif.

Nous sommes les héritiers de ce grand homme d’Etat qui a dû affronter les coups tordus de la France et de plusieurs pays voisins. Après notre souveraineté acquise, Modibo Kéïta et ses compagnons ont su (en huit ans) bâtir une nation, construire de nombreuses unités industrielles, réaliser de grandes infrastructures. Toutes choses qui faisaient à l’époque, la fierté de l’Afrique. Nous devons nous en inspirer.

La page IBK est tournée. Notre peuple, avec à sa tête un groupe d’officiers de l’armée malienne, a pris son destin en main mettant fin ainsi à sept ans de gouvernance corrompue.

Rien n’arrêtera la détermination de notre peuple à construire un Mali nouveau.Un Mali de paix, de justice sociale, de progrès économique. Un Mali démocratique, républicain et solidaire.

Les gesticulations des dirigeants de la CEDEAO n’intimideront pas notre peuple qui avec courage, détermination et dignité, saura résister aux ingérences d’où qu’elles viennent.

Si les provocations et autres mesures discriminatoires contre notre pays devaient perdurer, le retrait du Mali de la CEDEAO pourrait s’imposer. Notre pays frère voisin, la Mauritanie, n’en est pas membre. Il ne s’en porte pas si mal.

L’espoir est grand de voir notre pays retrouver sa grandeur, son aura d’antan.

L’heure est au rassemblement de toutes les forces vives de la Nation, patriotique et démocratique pour construire un Mali moderne et démocratique, pour répondre aux aspirations de notre peuple.

Nous disposons de ressources pour relever le défi.

Bassirou Diarra

Ancien Secrétaire Général Adjoint de la Présidence de la République du Mali

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Mali : l’espoir

Après la chute du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta

Un article de Bassirou Diarra

Des officiers de l’armée malienne viennent de parachever, ce 19 Août 2020, la lutte du peuple malien en mettant fin à sept ans de pouvoir du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).

Sept ans au cours desquels tous les clignotants sont passés au rouge : déliquescence de l’enseignement, santé moribonde, baisse du pouvoir d’achat de la population, justice aux ordres, corruption généralisée, insécurité, répression…

IBK a signé à Kati : sa démission, celle de son gouvernement, et a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale. Il était temps car cette démission était réclamée depuis plusieurs mois par le peuple malien, voulant mettre un terme à un régime conduisant notre pays vers l’abîme.

Des mois de combats acharnés sous la conduite du Mouvement du 5 Juin (M5- RFP) et le soutien de l’autorité morale, l’Imam Mahmoud Dicko.

Le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) mis en place par les officiers de l’armée malienne, vient de donner les premières indications sur sa feuille de route : dissolution de l’Assemblée nationale, mise en place d’une transition politique dirigée par des civils, respect de tous les accords internationaux du Mali (bilatéraux et multilatéraux), élections générales.

Depuis mardi et la chute du régime de Ibrahim Boubacar Keïta, nous assistons à un déchaînement de ladite « Communauté internationale » contre le renversement d’un pouvoir honni par le peuple.

Une « Communauté internationale » qui n’a rien fait contre la souffrance du peuple malien, rien fait après les tripatouillages électoraux de mars et avril 2020.

Une « Communauté internationale » qui a fermé les yeux sur les massacres (23 morts) des 10-11 et 12 Juillet 2020 et qui aujourd’hui menace de sanctions le peuple malien.

Les officiers maliens qui ont pris leur responsabilité – sans effusion de sang – pour mettre fin à la dérive et à la crise socio-politique sont l’émanation du peuple, victimes eux aussi, de la corruption qui a gangrené toutes les sphères de l’Etat.

L’Histoire nous rappelle que des militaires révolutionnaires ont fait preuve de patriotisme, d’engagement contre le colonialisme, le néo-colonialisme, l’impérialisme et les dictatures. Je pense aux capitaines de la Révolution des œillets au Portugal, au capitaine Thomas Sankara du Burkina Faso, au colonel Hugo Chavez du Venezuela, au capitaine Jerry Rawlings du Ghana.

Face à la nouvelle situation que connait notre pays, c’est aux politiques d’assumer leurs responsabilités et d’éviter les erreurs de la révolution du 26 Mars 1991.

Il s’agit de conduire notre pays vers de vrais changements.

Répondre à l’espoir et à l’espérance du peuple malien : telle est la mission qui revient aujourd’hui aux partis politiques, aux démocrates, patriotes, progressistes et républicains de notre pays.

Bassirou Diarra

* Ancien Secrétaire Général Adjoint de la Présidence de la République du Mali

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Mali : tribune de Bassirou Diarra

Notre ami Bassirou Diarra nous a fait parvenir une tribune suite aux événements du Mali et la récente visite de chefs d’Etat africains pour une médiation. La situation évolue vite au Mali. Nous avons déjà évoqué les événements et la nécessaire solidarité pour le peuple du Mali. Vous trouverez également le lien pour un article sur Maliweb.net concernant le point de vue de l’opposition.

Tribune

Construisons la CEDEAO des Peuples

Après le séjour de Cinq Chefs d’Etats Ouest Africains à Bamako

Jeudi 23 Juillet 2020, le Mali a accueilli les chefs d’Etats de cinq pays de la sous-région Ouest Africaine : les présidents du Niger, du Sénégal, du Nigeria, du Ghana et de la Côte-d’Ivoire.

L’objectif de ce déplacement visait officiellement à participer aux efforts pour sortir le pays de la crise économique, sociale, politique, sécuritaire et de gouvernance.

Ce haut niveau d’intérêt accordé à notre pays, par les chefs d’Etats des pays voisins ne nous laissait pas indifférents car il aurait pu déboucher sur des ouvertures positives. Or, force est de constater que tel n’est pas le cas : le déplacement des  délégations de la CEDEAO (la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) vers la capitale malienne s’est transformé en une opération de sauvetage d’un pair, le président Ibrahim Boubacar Kéïta.

En l’espace d’un mois, c’est la troisième délégation de médiation que l’organisation sous régionale dépêche au Mali. Pour un même résultat : réduire les souffrances du peuple malien à une simple crise post-électorale. Une injure à la dignité des Maliens.

Le cri venant du cœur du peuple malien n’a pas été entendu.

Avec les médiateurs de la CEDEAO, étrangers aux maux qui minent notre pays, l’insécurité grandissante, la corruption endémique, la gabegie, le népotisme ont de beaux jours devant eux.

La venue à Bamako des cinq Chefs d’Etats participe d’une stratégie claire : sauver Ibrahim Boubacar Kéïta et par ricochet se sauver eux-mêmes, la colère des peuples ne connaissant pas de frontières.

Plusieurs informations circulant sur les réseaux sociaux indiquent que les Chefs d’Etats de la CEDEAO menaceraient de sanctions, de « décisions fortes » les dirigeants du Mouvement du 5 Juin. Une intervention au Mali des forces spéciales de la CEDEAO ne peut être exclue.

Pourtant, 2012 n’est pas si loin.

En effet, plutôt que d’agir en 2012, pour déloger les militaires putschistes (Amadou Aya Sanogo et ses complices) et réinstaller dans son fauteuil, le Président Amadou Toumani Touré, les dirigeants de la CEDEAO se sont contentés à l’époque, de demander au Président ATT, (démocratiquement élu en 2007), de démissionner. Une démarche contraire au Protocole de la CEDEAO.

En vrai patriote, se souvenant des mots prononcés le 19 Novembre 1968, par le Président Modibo Kéïta « Je ne souhaite pas qu’une goute de sang d’un Malien soit versée pour que je reste au pouvoir », le Président Amadou Toumani Touré avait remis sa démission aux prétendus « médiateurs » de la CEDEAO, pour épargner la vie de Maliens.

Peuple des grands empires, les Maliens jaloux de leur souveraineté, résisteront avec courage et détermination.

Dans sa quête farouche d’un profond changement au Mali et son combat pour mettre fin au régime de Ibrahim Boubacar Kéïta, le peuple malien a plus que jamais besoin du soutien et de la solidarité des peuples frères, du Sénégal, du Niger, du Nigeria, du Ghana et de la Côte-d’Ivoire.

Construisons la CEDEAO des Peuples et mettons fin au Club de Chefs d’Etats solidaires dans leur action, visant uniquement à préserver leur maintien au pouvoir.

Honneur aux 23 martyrs des 10, 11 et 12 Juillet 2020.

Bassirou Diarra

Ancien secrétaire général Adjoint de la Présidence de la République
Commandeur de l’Ordre National du Mali
Chevalier de la Légion d’honneur (France)

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