
Je ne sais pas pourquoi ce matin du 8 mars m’est venu à l’esprit le nom de Valentina Terechkova. En 1963, la cosmonaute soviétique avait vingt-six ans, j’en avais presque vingt. Je me souviens du choc de l’annonce mondiale de cette première. Une femme dans l’espace ! La question a été immédiate. Est-ce la place d’une femme ce genre d’aventure ?
Bon, d’accord, il s’agit d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, mais après tout, Valentina n’a aujourd’hui que quatre-vingt six ans. L’Union soviétique n’est plus et la Russie de Poutine est une pâle imitation en pire. Pourquoi son nom, universellement connu à l’époque est-il aujourd’hui aussi exotique ?
Et non, ce n’est pas de l’ostalgie mais un retour sur une histoire que l’on aurait tort d’oublier. #Metoo n’est pas né de rien. Beaucoup, dont je suis, ont, à l’époque, été mis sur orbite de la réflexion politique dans un domaine où concrètement les choses n’avançaient pas. Je me souviens avoir reçu un blâme de mon organisation de base du PCF pour avoir contesté les attaques du parti contre l’interruption de grossesse. La responsable en question, secrétaire de cellule, était une femme, mariée à un intellectuel (que je respecte et dont j’admire le travail) membre éminent du Comité central.
Spéculations et préjugés spatiaux
Pour ma part je ne connaissais pas le nom de Gisèle Halimi. Mais celui de Terechkova était un drapeau qui flottait sur le monde. Il faudra que je vérifie dans le livre d’Annie Ernaux, Les Années, si le nom de Valentina y figure. Peut-être a-t-il plus marqué les hommes de ma génération que les femmes elles-mêmes. Normal, pour ma part j’avais comme vague ambition professionnelle de devenir pilote de l’aéronavale, un domaine où la performance de Terechkova sonnait comme une contestation de la suprématie masculine.
À l’époque, le sujet de discussion pour les fans de science-fiction comme de la « conquête de l’espace » était un mal supposé frapper les astronautes : le « mal de l’espace ». Les conditions des vols spatiaux étaient spartiates et les conséquences de leur périple orbital sujet à toutes les spéculations. Terechkova fut soupçonnée par les responsables scientifiques soviétiques d’avoir failli à certains des objectifs de sa mission. Certains malaises l’avaient en effet empêché d’effectuer des tests prévus. Le mal de l’espace ? Non.
Dans son cas furent recherchés instinctivement les causes dans la capacité du corps féminin à résister aux contraintes d’un vol spatial. La faute. Depuis le jardin d’Eden, il est connu que l’Eve éternelle ne résiste pas. Mais pas la faute au mal de l’espace qui a touché tous les cosmonautes et astronautes insuffisamment préparés aux conditions de l’accélération, de l’apesanteur, de toutes les forces physiques et psychologiques qui ont affecté les pionniers. Valeri Bykovski, autre cosmonaute soviétique, lui-même participant en 1963 à un vol symétrique à celui de Valentina, eut ce qu’on appelait alors le « mal de l’espace » sans que cela donne lieu à des spéculations sur la fragilité du corps masculin. Vous avez dit « mal de l’espace » ? En ce 8 mars, je ne voudrais pas faire un jeu de mots facile…
Robert Crémieux