L’HOPITAL FACE AU VIELLISSEMENT DEMOGRAPHIQUE

De la naissance au grand âge, le fil de vie de l’hôpital public

Que ce soit dans le monde ou en France, l’accélération du vieillissement de la population exercera dans les années à venir une forte pression sur les systèmes de soins de santé et en particulier sur le système hospitalier. Une prise en compte des prévisions démographiques dans l’élaboration des politiques hospitalières est essentielle si nous souhaitons éviter une chute drastique de la qualité des soins. Le projet de Campus hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris Nord a fait l’impasse d’une vision à long terme.
Par Léa Druet-Faivre

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Les prévisions démographiques sont alarmantes pour un système hospitalier déjà à bout de souffle. Au niveau mondial, l’OMS estime en effet que tous les pays connaissent une croissance tant du nombre que de la proportion de personnes âgées dans leur population, avec une proportion estimée à un sixième de personnes âgées de plus de 60 ans d’ici 2030 (soit 1,4 milliard de personnes).

En France, le vieillissement démographique est inférieur à la plupart de nos pays voisins en raison d’une vitalité démographique restée longtemps supérieure, mais il s’accélère toutefois depuis les années 2010 en raison de deux effets cumulés.

D’abord, avec le phénomène de « glissement vers le haut » de la pyramide des âges, la génération des babyboomers devenant progressivement des papyboomers ; et plus récemment, en raison du déclin exceptionnel de la natalité. Il est ainsi estimé que le nombre de personnes âgées de 75 à 84 ans – population la plus demandeuse de soins augmentera de 49% entre 2020 et 2030, passant de 4,1 à 6,1 millions. Ce n’est pas avant 2050 que le vieillissement devrait se stabiliser, dans une proportion qui devrait atteindre 140 seniors pour 100 jeunes.

Le système hospitalier sera la première grande victime du vieillissement de la population si ces données ne sont pas prise en compte. En effet, l’avancement en âge provoque un accroissement de la demande de soins hospitaliers du fait de « l’augmentation moyenne du nombre, de fréquence et de la gravité des maladies » ; et en particulier des maladies chroniques, des affections longue durée, des limitations fonctionnelles ou encore de diverses affections liées à l’âge (arthrose, maladies rénales, hypertension artérielle, démence, maladies pulmonaires…).

Or, c’est bien à l’hôpital que la hausse de la demande de soins sera la plus marquée. En effet, le partage des dépenses de santé entre soins de ville et soins hospitaliers évolue vers une croissance des seconds au fur et à mesure du vieillissement d’une personne. Les soins hospitaliers représentent 37% des dépenses de santé entre 60 et 69 ans contre 43% entre 70 et 79 ans puis 50% après 80 ans.

De même, au-delà de l’accroissement de la morbidité liée au vieillissement de la population, il existe un effet bien documenté de la « proximité de la mort » sur la demande de soins : on constate un accroissement des dépenses de santé particulièrement élevé dans l’année qui précède le décès, quel que soit l’âge auquel il survient. Dans la mesure où la probabilité de décès augmente avec l’âge, le vieillissement de la population provoquera également des tensions au sein du système hospitalier en raison de l’accroissement du nombre de « décédants dans l’année ».

Devant le caractère certain du vieillissement démographique, le refus des décideurs d’anticiper et d’adapter les politiques hospitalières à ce défi est accablant. Malgré ces prévisions démographiques, qui selon les termes utilisés par l’INSEE sont « quasi-certaines » au moins jusqu’en 2040, nos décideurs politiques semblent incapables de prendre en compte le facteur du vieillissement de la population dans l’élaboration des politiques de santé publique.

Si l’argument du vieillissement de la population et des déséquilibres budgétaires qu’il provoque est souvent utilisé dans le débat public pour justifier des mesures d’austérité ou encore du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite, force est de constater qu’il n’est jamais pris en compte dans l’élaboration des politiques hospitalières, qui pourtant devraient être renforcées pour faire face à la hausse future de la demande de soins.

Une certaine panique face aux prévisions démographiques se fait ressentir au plus haut sommet de l’État : on ne manquera pas ici de rappeler la fameuse expression de « réarmement démographique » utilisée pas moins de huit fois par Macron dans son discours à l’Élysée du 17 janvier 2024. Mais l’utilisation de ce jargon militaire indique que cette panique se situe sur un terrain identitaire et impérialiste, à mille lieues de se questionner sur la future chute de la qualité des soins à laquelle nous allons devoir faire face si nous n’ajustons pas dès maintenant l’offre hospitalière à ces prévisions.

Pour preuve, les gouvernements des quinquennats Macron sont responsables d’un effondrement capacitaire sans précédent de l’hôpital public, amputé de pas moins de 29 000 lits entre 2016 et 2022. Cet effondrement se poursuit, notamment avec la fermeture contrainte de plus de 160 services d’urgence la nuit ou le week-end durant l’été 2023.

Le projet de Campus hopitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris Nord (93), est un symbole de la presbytie de nos décideurs sur les besoins capacitaires à venir de l’hôpital public. A un échelon plus local, les projections démographiques sont fréquemment ignorées lors de la planification des futurs besoins de santé.

Le projet de l’hôpital Grand Paris Nord consiste en la suppression des deux hôpitaux : Beaujon (Clichy) et Bichat (Paris 18e) et la création d’un nouvel hôpital à Saint-Ouen. Il rassemblerait les activités médicales et chirurgicales de ces deux hôpitaux. Dans sa forme initiale, le projet aurait impliqué la fermeture de pas moins de 500 lits d’hospitalisation. En raison d’une décision de justice de juillet 2023 qui a annulé la déclaration d’utilité publique du fait de la réduction « déraisonnable » de l’offre de soins, l’APHP se targue désormais de « préserver les capacités de prise en charge par rapport à l’existant ».

Premièrement, cette affirmation relève d’une manipulation comptable sur plusieurs aspects : la cible visée se base sur une moyenne des lits et places en ambulatoire occupés entre 2017 et 2019 et non pas sur le nombre de lits et places autorisés à date dans les hôpitaux de Beaujon et Bichat.

De plus, l’APHP prend en compte des lits « activables dans les chambres dédoublables en cas de besoin » et des unités modulaires dans son calcul, comme si le futur GHU était un jeu de lego et que l’on pouvait gérer un hôpital comme l’on gère une industrie, en fonction des pics d’activité. Le système de lits modulaires, qui implique pour les équipes soignantes de prendre en charge plusieurs spécialités et de ne pas demeurer dans une équipe fixe, fait fi de la santé au travail et expose les patients à des risques d’erreur augmentés.

Mais au-delà de ces mensonges comptables, il est fortement problématique que face à l’enjeu du vieillissement de la population – bien documenté et inévitable jusqu’en 2040 –, l’APHP dans sa vision court-termiste se satisfasse d’une cible capacitaire simplement « préservée par rapport à l’existant ». Une vision à long-terme imposerait en effet une augmentation certaine de l’offre de soins et des capacités d’accueil, et c’est ici sans parler de l’augmentation démographique à venir du bassin de population concerné.

Léa Druet-Faivre

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