Fermeture de Beaujon et Bichat : un pas de plus vers la privatisation du système hospitalier
Alors que l’hôpital public est saturé et le personnel soignant épuisé, le projet de fusion des hôpitaux de Beaujon et de Bichat n’est toujours pas enterré, sujet d’un entêtement de nos décideurs politique.
Le projet de l’APHP consiste en la suppression des hôpitaux de Beaujon à Clichy et de Bichat à Paris, et la création d’un nouvel hôpital qui rassemblerait – partiellement – les activités médicales et chirurgicales de ces deux hôpitaux à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. S’il aboutit, ce projet aura non seulement pour conséquence la perte pour le bassin de population concerné de ses hôpitaux de proximité, mais également la suppression de 1 000 postes de soignants et de 500 lits ainsi que la réduction du nombre de places en ambulatoire et de naissances pouvant être accueillies, en comparaison aux capacités actuelles des deux hôpitaux. Ce projet va ainsi à rebours des besoins de santé publique et des constats qui ont émergé de façon prégnante pendant la crise du Covid-19 : nous avons besoin de plus de lits, de plus de soignants et d’hôpitaux de proximité mieux répartis sur le territoire français.
C’est ce même constat qui a été souligné par le tribunal administratif de Montreuil dans sa décision du 10 juillet 2023 d’annuler la déclaration d’utilité publique du projet en raison de la diminution non compensée de l’offre de soin qu’il entraînerait, dans un territoire pourtant marqué d’importantes inégalités de santé et d’un accès à la médecine libérale inférieur à la moyenne nationale. Si les travaux sont suspendus en l’attente d’une nouvelle enquête publique, qui a lieu actuellement et se terminera le 4 mars, force est de constater l’entêtement de l’APHP, du Préfet et de nos décideurs politiques (dont les maires de Saint-Ouen et de Clichy), qui tous continuent de soutenir ce projet mortifère pour des raisons de rentabilité financière.
La création d’un véritable « marché hospitalier »
Car en ligne de mire, l’objectif inavoué de ce projet est celui d’une privatisation de notre bien commun, la santé, et d’une marchandisation de l’hôpital public. D’abord, dans les enceintes même du futur hôpital, dont la gestion serait pénétrée par une logique managériale : pour palier à la suppression de plusieurs centaines de lits, le projet prévoit de créer un hôtel au sein même de l’établissement, qui serait géré par une structure privée d’hébergement. Cette configuration est fortement questionnable sur le plan de la qualité de l’accueil des patients, qui ne seront pas sous surveillance et qui devront être rapatriés à l’hôpital en cas de problème, mais également sur le plan de la gestion de nos deniers publics : la sécurité sociale payera donc une structure privée et lucrative au lieu de payer un établissement public.
Ensuite, la privatisation de notre système de santé, dont le projet de l’hôpital Paris-Nord n’est que l’un des nombreux symptômes, ne peut se comprendre sans analyse croisée avec les politiques foncières locales. Car derrière chaque projet de suppression, fusion ou délocalisation d’un hôpital, il existe un terrain, faisant très souvent l’objet de nouveaux projets d’investissement et d’architecture. Cela est d’autant plus vrai en Région Parisienne où la spéculation immobilière est telle que la convoitise de ce genre de terrains par les investisseurs privés en est d’autant renforcée. A Clichy, où le Maire Rémy Muzeau (LR) néglige le parc de logements sociaux existant tout en cédant régulièrement des parcelles de terrains à des promoteurs immobiliers réalisant de juteuses opérations, le projet d’installer des lofts au sein de l’hôpital Beaujon a été évoqué dès 2016.Cela rappelle fortement la vente en 2022 par l’APHP du terrain « Renouillers », situé en bordure de l’Hôpital Louis-Mourier, au promoteur Interconstruction en vue d’y développer un programme de logements.
Ces constats sont d’autant plus aberrants que le projet de l’hôpital Paris-Nord est délétère également sur le plan de la gestion de nos deniers publics : alors que la création du nouvel hôpital Nord coûtera aux alentours de 1,5 milliards d’euros, la rénovation des hôpitaux de Beaujon et de Bichat, elle, ne coûterait que 500 millions d’euros. Avec ce projet, nous aurons donc moins de lits et une qualité d’accueil diminuée pour un coût pourtant trois fois supérieur – et tout cela au bénéfice du secteur privé, grand gagnant de l’opération.
Un projet néo-libéral dans la droite lignée de la politique de Macron
Le projet de l’hôpital Paris-Nord n’est pourtant que l’un des nombreux symptômes de la privatisation insidieuse, progressive mais totale de notre système de santé, amorcée dès les années 1980 avec l’introduction du New Public Management dans la gestion des hôpitaux qui marque la fin du compromis non-marchand d’après-guerre via une modification de l’organisation de l’hôpital selon les modalités du privé. A cette « managérialisation » s’est ajoutée par la suite, dans les années 2000, une « marchandisation », soit l’introduction d’une logique de rentabilité marchande dans les actes de soins, symbolisée par la tarification T2A, ou les indicateurs de performance. L’arrivée au pouvoir de Macron n’a fait qu’accélérer ce tournant, notamment avec le « virage ambulatoire » du plan « Ma Santé 2022 » qui cherche à raccourcir le temps de séjour des patients.
Les gros pôles hospitaliers à la pointe de l’innovation technique, dont l’hôpital Paris-Nord ferait partie, poursuivent quant à eux cette même logique de rentabilité financière, d’industrialisation et de concurrence (notamment pour attirer des médecins), à la manière d’un véritable « marché » de la santé publique. In fine, ces projets nous rapprochent chaque jour d’un système hospitalier très technicisé et déshumanisé, incapable de prendre en compte des besoins de la population et niant la vocation sociale de l’hôpital. D’autres projets similaires sont en cours, à l’instar du nouvel hôpital du plateau de Saclay qui ouvrira en 2024 et qui résulte de la fusion de trois hôpitaux (Orsay, Juvisy et Longjumeau).
La création d’un marché hospitalier, logique à laquelle répond le projet de l’hôpital Paris-Nord, est incompatible avec la santé publique et la solidarité collective, qui doivent reposer sur un bien commun financé par la nation et placé hors des lois du marché. Au-delà de l’hôpital public, c’est notre économie toute entière que nous devons repenser pour faire face à la crise multidimensionnelle du service public : il faut créer une véritable économie au service des besoins.
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