Le complexe politico-médiatique au quotidien

Ce dimanche 5 mai, le journal La Tribune dimanche, acquisition et relance récentes du milliardaire pro-Macron Rodolphe Saadé, titre sur une interview fleuve du Président de la République. La routine politico-médiatique dira-t-on, à laquelle on est habituée. Dans une démocratie en crise, l’habitude pourtant confine à la paresse et la paresse à la complicité. De quoi parle-t-on ?

La Tribune dimanche du 05/05/2024

Une polémique récente a placé dans l’actualité la formule de la philosophe Anna Harendt sur « la banalité du mal ». La banalité de la vie politique française est devenue en effet particulièrement épaisse. Le pouvoir politique sous Macron nous a habitué à intervenir quotidiennement sur tout et n’importe quoi, sous forme de phrases chocs performatives, plus ou moins suivies d’effets dans le réel. Mais l’important est là : un pilonnage quotidien avec le relais obsédant des médias, appartenant désormais majoritairement à des milliardaires ou à l’Etat.

La banalité est dans ce quotidien là. On ne peut y échapper même en éteignant la télé, même en se coupant du réseau planétaire X du milliardaire mondialisé Elon Musk, même en sélectionnant des sources marginales sur les réseaux d’Internet. Cette banalité obligatoire a un nom, c’est un système de gouvernement politico-médiatique. Essayons de le décrypter, une fois de plus, car désormais le système s’adapte à la vitesse de l’électron qui parcourt les tuyaux de l’information mondialisée.

Fil BFM sur X dimanche 5 mai 2024

Revenons à l’entretien de Macron dans La Tribune dimanche. Fort opportunément, le journal n’est pas seul dans le paysage médiatique. Cet énième entretien qui n’est justifié par rien dans l’actualité politique va connaître un succès d’estime dans les médias inversement proportionnel à son absence d’intérêt, sauf pour un ou une psychanalyste.

Prenons BFMTV, par exemple. Le média appartenant depuis peu au même milliardaire que La Tribune dimanche, la chaîne infos choisit un angle « informatif » pour parler de l’événement. Si elle se contentait de signaler la parution du journal, cela passerait pour un publi-reportage. L’entretien est donc découpé en « sujets » faisant l’objet d’une relance. Exemple : le chef de l’État reconnaît « de nombreuses erreurs » en sept ans de mandat.

Président de la République oblige, le service public de l’information ne peut pas de son côté ignorer l’affaire. Donc, par exemple dès le matin du dimanche, France-Info reprend l’agence de presse AFP. Photo d’archive à l’appui du Président qui est aussi omniprésent dans les médias que peuvent l’être Poutine ou Xi JinPing dans leurs pays. Peu importe le sujet de toute façon on peut être sûr, sans même l’avoir lu, que l’entretien fleuve qui revient sur sept ans de mandat aborde tous les sujets. De Gaza à ses états d’âme.

France Info dimanche

Le florilège est impressionnant. Tous les médias, tous les sujets, toutes les lubies y passent. Le procédé est rôdé : une phrase sortie de son contexte, sans argumentaire, assénée comme une vérité incontournable voire une prophétie volontariste : Macron dit « je veux ». Et la magie du verbe doit plier la réalité. Nous sommes bel et bien dans une dystopie, celle imaginée par George Orwell avec son roman « 1984 ». Car c’est bien chez nous, voire dans notre poche, que le flux d’information formaté vient nous harceler.

La notion de complexe médiatico-politique n’est pas nouvelle. Il n’est pas ici question d’en faire l’analyse ou la théorie. Au-delà des exemples choisis dans l’actualité il faudrait une étude d’ampleur pour rendre compte de la vis sans fin mise en place pour assurer la propagande du pouvoir au service d’intérêts réels, sonnants et trébuchants. Le sujet est vaste car s’y rattache les instituts de sondages, le rôle assigné à l’école et en particulier aux universités, les officines visibles ou cachées comme les cabinets conseils chargés d’alimenter en continu la vérité officielle du capitalisme.

Une lubie par jour mais ça peut être aussi bien la guerre à la Russie

Le journal Le Monde a consacré récemment un article sur l’étude de Naomi Oreskes, sur un aspect de cette réalité qui échappe à la perception immédiate que chacun et chacune peut avoir de l’info. L’historienne des sciences, américaine, a étudié à partir de son pays la manière dont les grands groupes industriels sont parvenus à imposer le « fondamentalisme du marché » dans la société américaine.

Plus récemment, un autre article du même journal a révélé la compétition qui agite le marché des médias entre les milliardaires du camp Macron et ceux de l’extrême-droite qui se disputent la maîtrise de l’information. L’enjeu est souvent abordé par les observateurs et les partis politiques sous l’angle du pluralisme, qui disons-le est vertueux mais fait une belle jambe pour les propriétaires des médias dont le pouvoir financier et politique est le seul objectif.

© Gabriela Manzoni

À l’heure du pouvoir mondialisé des GAFAM sur les États « souverains », il est de première urgence de remettre à l’ordre du jour la réflexion et l’action politique sur la question de l’information dans le cadre du complexe politico-médiatique dominant. Il en va du cours de la démocratie dans un avenir proche, en France et dans le monde.

Robert Crémieux

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