Au secours ! On m’a pointé du doigt !
Une campagne politique de la France insoumise suscite des commentaires indignés du petit monde politico-médiatique qui a le populaire en horreur. Sous prétexte de défendre l’honneur outragée de Mme Nathalie Saint-Cricq, et de quelques autres, une campagne non moins politique s’érige en contre-feu de ce qu’il considèrent comme une attaque à la liberté des journalistes. Démonstration de l’hypocrisie d’une caste.

C’est du plus haut comique. Voilà que des personnages hypers médiatisés parce qu’ils occupent à longueur de journée les plateaux télés se tordent de douleur parce qu’une campagne politique humoristique les cite nommément. Tels des diables aspergés d’eau bénite, ils mobilisent tous leurs copains et copines pour hurler au sacrilège satanique et à la mise au pilori.
« #LFI, ce Parti, qui jette en pâture… »
Bruno Jeudy
Les hardis « défenseurs » de la liberté de la presse, debout sur les étriers de leurs chevaux blancs, hurlent leur émotion devant la campagne initiée par La France insoumise sur les réseaux internet pour inciter les électeurs et les électrices à vérifier leur inscription sur les listes électorales. La campagne fait mouche. Elle fait mal là où il y a un vrai problème démocratique dans ce pays.
Où est le problème dans cette campagne politique ? Les personnes dont l’image publique est obsessionnellement et quotidiennement présentes dans les médias sont nommées pour ce qu’elles sont, des influenceurs et influenceuses politiques qui portent une parole politique. Où est le problème ?
Le Syndicat national des journalistes, SNJ, principal représentant des salariés.es de la profession en voit un.
« Il est totalement INADMISSIBLE qu’un parti politique cible un journaliste en particulier… »
SNJ
Personnellement, j’ai un faible pour le SNJ. Je m’honore d’en avoir été l’humble missionnaire pendant des années en siégeant bénévolement dans l’organisme paritaire chargé de défendre les droits des journalistes salariés – la Commission arbitrale des journalistes. Mais, pardon, devant leur déclaration dans cette affaire, je reste pantois (vieux français, sans doute l’âge).
Pardon, mais… Serait-il alors admissible qu’un parti politique en réaction aux déclarations d’un journaliste en particulier cible un média ou la profession en général ? Serait-il possible que cela soit « un PEU inadmissible ». On le voit, la question est véritablement mal posée. Et mal nommer un problème, en matière de journalisme comme en toute matière, c’est se condamner à ne pas y répondre.
Sur le fond, la plus connue des chartes de déontologie des journalistes, dite Charte de Munich, dit clairement les choses. Par exemple l’article 2.
« 2) défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique ; »
Charte de Munich
La liberté de l’information, en effet, suppose que si le commentaire est libre, la critique de ce commentaire est tout aussi libre. Imagine-t-on, suite à une intervention télévisée de Léa Salamé ou Benjamin Duhamel, un responsable politique répondre en disant : « Une/un certain journaliste dont je ne citerais pas le nom, a déformé mes propos » ? La responsabilité ne serait donc pas personnelle ?
Non, sérieusement, le débat entre les journalistes ou celle et ceux qui se disent tels, avec une carte de presse ou non, est public et la réponse des responsables politiques est nécessairement publique et nominative.
Faisant allusion à une consœur, Elise Lucet, la main sur le cœur, proteste :
« On l’envoie à la vindicte populaire… »
Elise Lucet
Ah bon ? Mais alors le journalisme d’investigation que pratique avec brio Elise Lucet est-il condamnable aussi puisqu’il consiste à interpeler publiquement devant des millions de téléspectateurs une personne précisément nommée ? Comment comprendre l’émotion, feinte ou réelle, de cette journaliste vedette devant une interpellation publique qui en outre ne comporte aucune accusation particulière ? Y aurait-il de sa part un parti pris politique visant une organisation politique dont elle ne partage pas les orientations ? Ou encore une solidarité corporatiste, sinon de caste, envers une catégorie sociale vis-à-vis de qui le respect serait obligatoire ? Pour ma part je réagis avec violence à l’expression « vindicte populaire ». S’y exprime un mépris de classe à l’encontre de la « populace » qui est dans l’air du temps. Que Elise Lucet le veuille ou non, l’horreur que suscite le mot d’ordre d’ « Union populaire » et sa déclinaison n’est rien d’autre que la réaction instinctive d’une bourgeoise devant la notion même du populaire. Quartiers populaires, quartiers dangereux.
« Quand des politiques s’en prennent à des journalistes, on sait comment cela se termine. »
Olivier Truchot
Olivier Truchot a sans doute de fortes références en matière d’histoire politique. Je ne sais lesquelles. Les miennes (je ne suis pas historien) sont celles de l’horreur nazie à laquelle mon histoire personnelle m’a incité à m’intéresser. Je crois que ce M. Truchot n’a rien compris. Car sa phrase est entièrement réversible. En fait, quand des journalistes qui sortent de leur rôle s’en prennent à des politiques, ils font de la propagande. Voir par exemple Maurras et l’Action française pour la France ou Goebbels pour l’Allemagne hitlérienne. On sait en effet comment cela s’est fini en France avec la collaboration et les condamnations légitimes de journalistes pétainistes à la Libération. Vous n’avez rien appris, M. Truchot, et vous êtes clairement dans le camp des propagandistes et non celui des journalistes.
« Les attaques politiques contre les journalistes qui exercent librement leur métier sont inacceptables. »
Delphine Ernotte
Dernier exemple, et non des moindres, dans ce florilège affligeant de déclarations indignées, celles de la Présidente de France Télévisions. Mme Delphine Ernotte se précipite toutes affaires cessantes pour la défense de journalistes supposés outragés et déclare vouloir porter plainte au nom des rédactions, comme un général d’opérette. La belle affaire.
Rappelons qui est Madame Delphine Ernotte. Elle n’est pas journaliste. Elle vient du monde du management pur et dur, celui de France Telecom devenu Orange. Elle faisait partie de l’exécutif de France Télécom, lors du plan de 22 000 suppressions de postes, entre 2006 et 2008, qui s’était accompagné d’une terrible vague de suicides. Sa nomination à la tête du service public de France-Télévisions dans des conditions opaques a suscité l’inquiétude des syndicats de la profession. Quoi qu’il en soit de ses résultats, de ses qualités ou de ses défauts, elle poursuivra sa carrière dans le public ou le privé quoiqu’il en coûte aux salariés.es de l’entreprise publique. Une fois adoubé dans la caste, on a un ticket à vie pour être recasé.
L’honneur perdu de Mme Saint-Cricq dans tout cela ? Pertes et profits pour les tartuffes de l’information. « Chiens de garde » est une expression ironique de l’écrivain Paul Nizan. Elle vise des personnages médiatiques mettant leur notoriété au service de l’ordre établi, tous crocs dehors. Peu leur importe l’intérêt général du populaire. Si le nonos de l’oligarchie est bon, ils y trouveront toujours un intérêt. La campagne politique de la France insoumise a visé juste.
Robert Crémieux
Compléments pour celles et ceux qui s’intéressent au journalisme :
Vidéo : Les nouveaux chiens de garde
Article du journal Le Parisien
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